Poser, reprendre. Allumer l’écran. Et puis reposer. Attraper un livre, lire une phrase, sans même la comprendre, pour finalement reposer le livre, reprendre le téléphone, chercher le contact, le trouver, et reposer encore une fois, pour la vingtième fois au moins ce fichu téléphone. Merde, hein, Amy. Tu t’étais décidée, pourtant. Tu l’avais dit. Tu l’avais dit, parce que normalement, tu n’avais qu’une parole. Tu ne disais jamais rien pour rien. Et pourtant, quelques jours plus tard, tu en étais là, allongée sur ton lit, à hésiter, encore et encore. Prendre rendez-vous avec un psy. Et pourquoi faire ? T’en avais pas spécialement besoin, si ? Si. Si. Bien sûr que si. Tu t’en donnais la preuve tous les jours. Aucune patience. Mauvaise gestion de la colère. Comportement lunatique. Tendance à la solitude. Ouais, les termes tu les avais, mais tu les avais juste parce que la psychologie, c’était un domaine qui avait capté ton intérêt. Tu aspirais au profilage criminel, alors forcément. T’avais quand même pris le temps de t’analyser un peu … juste un peu, parce que t’étais loin d’avoir les connaissances et l’expérience, pour te comprendre toi-même. Encore moins le recul. Bref … de toutes façons, t’avais résolu de le faire, tu ne voyais pas trop pourquoi tu chipotais toute seule. Au pire, tu passerais quelques minutes à ne rien dire, et puis tu fuirais, si vraiment ça se passait mal. Ouais, tu ferais ça. C’était beaucoup trop ridicule de faire l’enfant pour un truc aussi … pour ça.

Des jours d’hésitation, pour un appel de quelques secondes à peine. Une date. Une heure. Point. Tu avais raccroché si vite, sans prendre la peine de discuter, de poser la moindre question. Rien. Le portable balancé sur le lit, le rendez-vous griffonné sur un bout de papier arraché d’un l’un de tes carnets. Et finalement, le jour venu, pas d’hésitation. Ce rendez-vous, c’est toi qui l’avais demandé, tu te voyais mal le fuir sans même prévenir, c’était aussi idiot que malpoli, même si franchement, tu ne faisais pas grand cas de la politesse d’habitude. Le bureau était tout près de l’infirmerie, du coup, tu t’étais de nouveau retrouvée là-bas. Sans migraine, cette fois, et ça, ça t’arrangeait bien. Tu t’étais simplement appuyée contre un mur, avant de te laisser glisser contre celui-ci pour te retrouver les fesses par terre, un bouquin entre les mains en attendant qu’on appelle ton nom. Au moins, tu étais toute seule…

Plongée dans ta lecture, tu aurais presque pu en oublier où tu étais, et pourquoi. C’est le bruit d’une porte qui s’ouvre qui te fais littéralement sursauter, alors que tu étais au beau milieu d’un moment critique de l’histoire. Tu relèves les yeux, refermant le livre d’un geste le laissant reposer sur ta cuisse, tandis que ton regard se fixe sur l’étudiant qui sort du cabinet du psychologue. Ça n’a pas l’air d’aller fort. Tu te sentirais presque gênée d’être ici, alors que d’apparence, tu as sans doute l’air d’être une jeune femme en pleine santé. L’espace d’un court instant, tu affiches ta mine des mauvais jours, boudeuse, renfrognée, jusqu’à ce que tes yeux se posent sur le psychologue. Il ne lâche pas son patient des yeux, et ce, jusqu’à ce qu’il disparaisse du couloir. Là, seulement il se tourne vers toi, toi toujours assise sur le sol. Il te salue. T’invites à entrer. Le tout en t’offrant sa main pour t’aider à te relever … une main que tu fixes un instant, hésitante, avant de finalement la saisir pour te redresser rapidement, ramasser tes affaires. « Monsieur Blackburn … bonjour. » Toujours les doutes au cœur, et une légère peur au ventre, tu entres dans ce bureau que tu ne connais pas, te perdant dans la contemplation, l’observation du lieu, tandis que l’homme s’affaire à servir du thé dans deux tasses. Du thé … tu préférais le café, en un sens, mais pourquoi pas après tout ?

T’imprégnant de la configuration du bureau … tu finis par t’asseoir sur un siège, te triturant les doigts sans réellement savoir quoi dire, maintenant. C’est vrai, il avait dit la dernière fois, que tu pourrais parler de ce que tu voulais. Le problème, c’est que là, maintenant que tu y étais, rien ne te venait. Alors, rapidement, tu attrapes ton téléphone dans ta poche, allumant l’écran pour regarder l’heure, avant de relever la tête. « Dure journée ? » … Ouais. Pourquoi pas, après tout, c’était un début, non ? Mouais. Tu finis par soupirer. « … je suis pratiquement certaine de vous faire perdre votre temps, vous savez ? »

Il ne s’attarde. C’est vrai que le jeune homme avant toi n’avais pas l’air dans son assiette, clairement. Et ça semblait avoir atteins le psychologue qui paraissait réellement fatigué, inquiet, affligé. Un des trois. Ou alors un mélange de tout ça, t’en savais rien. Tu l’observes. Il a cette petite moue étrange accrochée au visage, une bouille qu’il n’arborait pas la dernière fois. Cela dit, tu sais bien qu’il n’est pas réellement utile d’en demander plus. Le secret professionnel, tout ça. Tu connaissais la chanson. C’est d’ailleurs en partie pour ça que tu étais là. Pour toi, c’était une sécurité, pouvoir parler à quelqu’un que tu ne connaissais pas sans pour autant craindre que tout ce que tu avais oser dire ne se retrouve étalé en place publique.

Il essaie de te rassurer. Il est gentil. C’est la première chose qui t’était venue en tête, lorsque tu l’avais rencontré la première fois. Quand il avait pris de son temps pour te donner un ou deux comprimés pour soulager ta migraine, et qu’il avait même pris la peine de discuter un peu avec toi, t’invitant à te confier, si tu en ressentais le besoin, le tout sans forcer. Même pas un peu. Il t’avait même donné son numéro personnel … d’ailleurs, sans ça, tu ne serais sans doute même pas venue. Tu hausses les épaules, mais tu finis quand même par sourire légèrement. Depuis quand c’était agréable de discuter avec toi, sérieux ? Suivre une discussion sans t’énerver ou partir dans tous les sens, c’était toute une histoire avec toi de toutes façons. « C’est vrai … » Le truc, c’est que tu ne savais pas vraiment par quoi commencer. Tu te voyais tellement mal commencer à poser des questions. Tu ne te sentais pas en position de le faire. Alors, tu te sens incroyablement soulagée lorsque c’est lui qui engage une discussion. C’est banal, comme question, mais au final il a sans doute tapé dans le mille avec toi dés le départ en commençant par le sujet de tes études, étant donné que c’est ce qui avait tendance à te rendre la plus expressive. « En criminologie. » Tu finis par attraper la tasse de thé, respirant l’odeur de l’eau aromatisée aux plantes. La tasse est brûlante, et il te faut souffler plusieurs fois sur le liquide avant de réussir à boire une toute petite goutte. Tu l’observes un instant, ce psy, cet homme. En fait, tu te demandes juste comment il a réussi à boire ce truc sans sourciller, sans grimacer. « C’est … C’est un domaine qui me fascine énormément. Je veux devenir Profiler. » Ce n’était pas simple, surtout qu’il allait sans doute falloir que tu songes d’ici un an à te plonger dans la psychologie, si tu voulais avoir toutes les cordes à ton arc. « Je redoute simplement l’étude de la psychologie, pour y arriver … j’ai beaucoup de mal à comprendre les êtres humains, au quotidien. C’est … ouais, c’est sans doute un de mes plus gros soucis. »

Franchement, il n’y avait pas grand-chose qui pouvait te paraître plus impressionnant que d’avoir une personne qui avait été criminologue par le passé. Pour être honnête, tu ne l’aurais pas imaginé une seconde de la part de Monsieur Blackburn. D’ailleurs, durant un instant, tu te demandes comment un criminologue a fait pour tomber ici, dans une fac, à écouter les problèmes parfois dérisoires de quelques étudiants. Au fond, c’était sans doute compatible avec ses connaissances, mais tout de même, on était loin de ce que toi, tu aspirais à faire de ta vie. Toutefois, tu n’oses pas vraiment lui poser la question. Ce n’était peut-être pas une histoire sympa donc … il valait mieux que tu t’abstiennes. « Vous l’avez été pendant longtemps ? » Evidemment, te voilà soudainement intéressée. Les yeux grands ouverts et les pupilles brillantes, tu t’es même totalement redressée sur ta chaise, pour être certaine de ne rien manquer de ce qu’il pourrait te raconter. « Vous bossiez où ? »  Ici ? A Stellaris ? Ou bien ailleurs. Dans une grande ville à forte criminalité peut-être. C’était peut-être étrange dit comme ça, mais c’était ton rêve, ce genre de truc.

Tu te remets à souffler sur ta tasse encore si chaude entre tes doigts, sans toutefois quitter le psychologue du regard. « Oui, c’est ça, monsieur Lurantis. » Bon, il ne faisait pas cours bien souvent, oui, mais tu l’aimais bien ce prof. Il t’intriguait, en plus, il avait un côté mystérieux qui forcément, te donnais envie de creuser. Mais tout ça, tu le gardes pour toi. Tu prends même un air un peu innocent, pour enchaîner sur ta prochaine question. « Vous le connaissez bien ? Il m’a l’air d’être … plutôt calé dans son domaine, non ? » Bon, s’il était prof c’est qu’il y avait des raisons, mais bon. Tu ne ratais jamais une occasion de fouiner un peu, pour les rares fois où certaines choses t’intéressaient réellement.

« J’aurais du prendre des cours de psychologie en plus cette année mais … » Mais tu ne l’avais pas fait. « J’en ai pas eu le courage. » Et pourtant c’était un domaine qui avait capté ton intérêt. Des bouquins sur le sujet, tu en avais lu et relu des dizaines. Malheureusement, même si tu apprenais beaucoup en lisant, c’est pas comme ça que tu aurais les qualifications. « Je lis beaucoup sur le sujet, surtout sur la psychologie criminelle vous vous en doutez. Je crois que j’essaie de me préparer, en quelques sortes, j’ai un peu … J’ai peur d’aborder tout ça sans un minimum de connaissances. Ce serait comme plonger dans un gouffre immense, la même sensation, pour moi… vous voyez ? » Tu avales une gorgée de thé … pas mauvais. Pas vraiment ton truc, mais pas mauvais quand même. « Vous n’aimiez pas votre métier ? Je veux dire, il y a une grande différence entre être ici, et travailler sur des affaires criminelles … » Bon. Voilà que tu parlais trop, maintenant.

C’était pas toi qui était venue en étant persuadée de perdre ton temps, mais en plus, de lui faire perdre le sien ? Voilà que maintenant, tu parles trop. Beaucoup trop. Tu questionnes. Tu te renseignes. Tu fouines. Tu as senti l’opportunité, sans doute. Tu as cru voir une espèce de brèche dans laquelle tu t’es engouffrée sans prendre la peine d’y réfléchir plus que ça. Tu regrettais déjà. Tu étais déjà en train de te dire que tu avais été trop loin, mais au-delà de ça, tu étais tout de même occupée à occuper les réponses aux questions que tu venais de poser. Comme quoi … ça t’intéressais quand même vachement.

Il semble esquiver cela dit. Tes questions sur le prof ? Légèrement éludées. Tu t’attendais à déclencher un sujet de discussion en posant la question, finalement, tu n’avais obtenu qu’une réponse toute simple, très basique. Ils se connaissent bien. Bon. Dans quelle mesure, ce bien ? Tu n’en savais rien du coup, et honnêtement, tu ne te sentais pas de continuer à le harceler. Normalement, tu n’étais pas là pour ça. Il passe au sujet de son métier. Il bossait ici, en ville. Des raisons personnelles. Et puis il était là. Et puis ça lui plaisait. Et puis c’était tout. Bon. Tu bois de nouveau un peu de thé, essayant de déceler les différents goûts qui se mélangeaient dans cette tasse, sans grand succès. « Vous…vous feriez ça ? » Tu as manqué d’avaler de travers, si bien que finalement, tu reposes la tasse devant toi, fixant l’homme en face de toi. Il te sourit. Un sourire qui te parait tout à fait sincère. Tu réfléchis un instant, tandis qu’un silence s’installe dans la pièce. T’ajouter des heures de travail n’était pas un problème pour toi. Travailler avec un professionnel était une chance qui ne se refusait pas, en plus. « Ce serait génial. Je veux dire, j’aimerais beaucoup, oui ! » Surtout que ton professeur était du genre à ne pas trop faire cours ces derniers temps … ça ne pouvait qu’être bénéfique, pour toi. D’ailleurs, voilà que le sujet « Lurantis » revient sur le tapis. « Euh, je ne sais pas ce qu’il faisait l’année dernière mais pour le moment … je dirais que c’est pas fou ? » Tu hausses les épaules, t’enfonçant un peu plus dans ton siège. « Mais je suis pas du genre à râler, personnellement … il fait bien ce qu’il veut. » En plus, il avait dit qu’il te préviendrait quand il ferait cours, du coup, tu n’étais plus obligée d’aller jusqu’à l’amphi pour rien quand il n’était pas décidé. « Je suis désolée, je pose trop de questions. Je suis censée parler de moi, normalement, non ? » Il était vraiment sympa, en plus. Et il était patient avec toi. Tu n’avais pas du tout envie d’abuser. Encore moins de lui faire perdre du temps. Alors autant essayer de faire au moins un tout petit effort. « Si je suis venue vous voir … c’est que je pense avoir un souci. » Ouais bon en fait, t’en avais plus d’un, c’était clair. « Je suis pas toujours aussi calme, vous savez. En fait, c’est rare quand je le suis autant. J’arrive pas à discuter avec les gens, au bout de cinq minutes, je finis toujours par m’énerver, et j’arrive pas spécialement à m’en empêcher. Vous voyez le truc ou pas ? »

Réglé. Bon, bah ok. Pas de discussions supplémentaires, il ne te posait même pas de questions en plus. Rien. Tu avais accepté, alors il allait te donner quelques cours particuliers histoire de te faire travailler un peu plus sur ton domaine. C’était tout bête, mais toi, ça te mettait en joie. Tu le trouvais gentil, cet homme-là, et ce depuis votre rencontre. Mais là, il t’offrait une chance que tu n’aurais jamais oser espérer. Celle de bosser avec un pro en plus de tes études, et celle possiblement d’étoffer tes connaissances en psychologie, parce que, vu son métier, c’était certain que tu allais poser des questions pour profiter un peu de sa science. Bref, comme il te l’avait prédit, au final, t’avais vraiment bien fait de venir, et clairement, tu n’avais pas tout perdu, loin de là.

Pendant un instant … il te semble ailleurs. Tu lui parles. Ton regard est fixé sur lui, mais le sien semble ailleurs, si bien que tu en viens à te demander ce que tu as pu dire, qui aurait pu le rendre aussi songeur. Cela dit, tu abandonnes vite l’idée. Ce n’était sans doute rien. Toi aussi, ça t’arrivait, bien trop souvent d’ailleurs, de te laisser distraire par certaines choses qui te passais par la tête. D’ailleurs, il avait écouté ton petit discours sur toi-même. Mh. Des problèmes liés à la colère ? Oui. Très certainement. A ton énergie ? Possible. « A vous de me le dire … » Tu ne dis pas ça pour être méchante, cassante. Non. Au contraire. D’ailleurs, tu souris de nouveau, étrangement. « Mais c’est fort possible. J’aime pas être en colère… » Surprenant, non ? Qui aurait imaginé entendre Amy Morgenstern dire une chose pareille ? Toi qui semblais être constamment en colère.

A sa seconde question, tu hausses les épaules. Tu ne t’étais jamais posé cette question, si bien que tu restes silencieuse, un bon moment, fouillant ta mémoire. Il te semblait avoir toujours été comme ça, non ? Mh. Comment est-ce que tu étais avant ? Tu portes subitement la main sur ton front. Comme confuse. « J’en sais rien … je crois. J’ai pas le souvenir d’avoir été autrement, en tout cas. » Tu soupires lourdement, te penchant en avant, prenant ta tête entre tes mains et appuyant tes coudes sur tes cuisses. « C’est flou. Je sais pas. » Cause perdue, petite Amy.

T’auras fini par t’ouvrir, au final. Peut-être un peu trop, d’ailleurs, non ? Mh. T’y peux rien. Au fond, t’es quelqu’un de si fragile. Ta colère. Tes cris. C’est qu’une façade. Une carapace bien solide dans laquelle tu caches une gamine aussi fragile que du verre. Ouais, enfin ça, personne ne le saura jamais. Jamais … Tu fais tout pour, de toutes façons. Tu joues ton jeu à la perfection. Il est pas né, celui qui viendra te percer à jour, parce que même quand t’es touchée, même quand t’es blessée, tu continues de réagir comme un animal ; autrement dit, par la violence. Autant dans les mots que les gestes. Ouais. Enfin d’habitude. Pas là. Là, tu te laisses un peu trop aller à tes pensées. Tu joues le jeu. T’es honnête. Tu réfléchis. Tu fouilles dans ta mémoire … et c’est si flou. T’as l’impression que tes souvenirs sont totalement décousus. Et c’est bizarre. Et ça fait peur, un peu, parce que clairement, t’es bien incapable de répondre formellement à la question. Une question pourtant si simple.

Le visage toujours entre tes mains, tu as pourtant les yeux grands ouverts. Tu fixes le sol, et tu ne bouges pas, même lorsque tu entends le psychologue se lever, s’approcher. Tu ne bouges toujours pas non plus lorsqu’il vient poser sa main sur ton épaule dans un geste sans doute rassurant, tout autant que ses paroles. Cependant, toi, de ton côté, malgré ce qu’il te dit, tu continues de torturer ton cerveau. Tu essaies tant bien que mal de lui faire cracher un souvenir qui pourrait te donner matière à simplement dire oui, ou non. En vain. Et de toutes façons … tu finis par t’arrêter subitement. Parce que près de toi, la voix du psy vient de s’éteindre subitement. Il s’arrête, au beau milieu d’une phrase, d’un mot même, et tu sens ses doigts se crisper sur ton épaule si bien que tu redresses rapidement la tête pour le fixer quelques secondes. Son expression est étrange. Il est figé. Pâle, du moins, tu as l’impression qu’il l’est bien plus que tout à l’heure. Tu fronces légèrement les sourcils … « Monsieur Blackburn … ? » Une voix douce. A peine audible, en fait. Tu ne songes même pas à regarder dans la direction que fixent ses yeux. Tu viens juste dans un réflexe un peu étrange de ta part placer ta main sur la sienne, sur ton épaule, avant de presser très légèrement pour le faire réagir. « Est-ce que ça va ? »

Tu le fixes. Légèrement inquiète, quand même. Tu te questionnes à mille à l’heure, tu te demandes ce qui lui prends, tout à coup. Est-ce que c’est toi ? T’as dit un truc ne que t’aurais pas dû ? T’en sais rien bon sang. Avec toi, tout est possible, si bien que t’es déjà prête à te confondre en excuse. Tu sais pas de quoi tu dois t’excuser, en fait, mais détail. Sauf que … non. Il ne t’en laisse même pas le temps. Tu avais posé ta main sur la sienne, et voilà que subitement, il entrelace vos doigts. Pire encore, il se penche vers toi, et ses doigts viennent se placer sous ton menton pour te relever légèrement la tête. Tu avales difficilement ta salive. Le fixant. Droit dans ces yeux que tu avais déjà notés, et que tu trouvais encore plus fascinants, vu de si près. Tu as rougi. C’est sûr et certain. Et puis, voilà qu’il te fait tourner la tête. Tu fixes l’endroit … Il n’y a rien. Alors tu fronces légèrement les sourcils, lui lançant un léger regard interrogateur. Un chat … ? Où est-ce qu’il avait vu un chat, bon sang ? Il n’y a que la fenêtre. Les rideaux. Rien de plus. Alors il soupire, avant même que tu ne poses la question. Visiblement, son chat invisible avait déjà foutu le camp. Et lui venait de relâcher ton menton, et de se redresser légèrement, te laissant l’occasion de souffler un peu, de relâcher l’espèce de pression qui s’était subitement créer, et installer au creux de ton estomac.

D’accord. Le monsieur te fais un peu d’effet on dirait … c’est bon à savoir. Gn. Et d’ailleurs, tes doigts sont toujours mêlés aux siens. Tu n’oses même pas bouger. Au fond, tout au fond de toi, il y a une toute petite partie de toi qui crains que si ne bouge trop, il va aussi te lâcher les doigts. T’en sais rien. Peut-être que son contact à quelque chose de rassurant, une connerie du genre quoi. Une bonne aura. Ouais bref. Tu peux décemment pas rester plantée, comme ça, sans rien dire et sans rien faire. « Désolée … je l’ai pas vu. » D’ailleurs, c’était pas légèrement bizarre d’en faire autant juste pour un chat ? Un peu … sans doute. Mais bon. Chacun ses soucis quoi. Bref. Finalement, tu bouges ta main … tu la retires pas, tu bouges juste un peu les doigts. Comme un rappel quoi. « Désolée pour … ça. J’ai pas … J’ai juste pas réfléchis, c’est venu tout seul. »

Et il est de retour à la normal. Comme ça. D’un coup, en un claquement de doigts, il a repris des couleurs, et son inquiétude à disparu. Il a retrouvé son calme, son sérieux aussi, lorsqu’il repose les yeux sur toi, un peu interrogateur. Il sourit de nouveau. Le plus naturellement du monde, alors que toi, c’est encore un peu la tempête dans ta tête, mais bon. Tu dois pas t’excuser, visiblement. T’as rien fais de mal. D’accord. Ouf ? Bon. C’était juste totalement bizarre, ce petit moment, mais … rien de grave ? Pas de quoi s’affoler ? Alors d’accord. Pourquoi pas après tout, hein ? C’était peut-être sa méthode avec ses patients. Qu’est-ce que t’en savais après tout, c’était lui le professionnel, pas toi. Visiblement t’avais beaucoup à apprendre de lui quoi…

Et puis voilà qu’il se rapproche de nouveau. Tout va bien, Amy, c’est juste sa méthode, hein. On ne panique pas, on a dit. Ses doigts viennent jouer avec quelques mèches de tes cheveux. Bon … tu rouges à nouveau. Il est quand même…mignon, quoi. Même si pour le coup, tu ne sais pas du tout où il veut en venir. Du coup, tu te contentes de l’observer. Ton regard bleu se fait plus intense, et tu le fixes dans ses yeux, ses yeux si particuliers que tu n’avais pas pu t’empêcher de remarquer lors de votre toute première rencontre. « Tant mieux j’ai … » Merde. Bon. C’était quoi ton problème encore une fois, là ? C’est quoi cette manie ces derniers temps, hein ? « Tout va bien. » On t’as rien demandé, mais tu le dis quand même. Ouep. C’est dire à quel point t’es troublée, hein. D’ailleurs, t’as toujours pas lâché ses yeux. Nope, nope. « Vous avez vraiment un regard particulier. » Ouais, et tu parlais pas seulement des yeux en eux-mêmes, là. Vraiment du regard. Mais finalement tu te racles la gorge, et tu redresses, et tu dessers un peu ton emprise sur ses doigts, en remarquant que tu t’y étais un peu accrocher, sans t’en rendre compte. « Je suis désolée. » Tiens, ça alors tu t’excuses à nouveau. Mais faut dire que c’était un peu gênant, non ?

Ses doigts bougent. Tu sens son pouce passer délicatement sur le bout de tes doigts … avant qu’il ne te lâche pour de bon finalement. Franchement ? Quand tu t’étais imaginer que ce psy était sans doute totalement différent de l’image que tu te faisais d’un psychologue … t’étais encore à bien des kilomètres de la vérité. Parce qu’en venant ici, en prenant rendez-vous, jamais tu ne te serais attendue à tout ça. Pas au chat en tout cas. Encore moins à ce genre de contacts. Et puis. Subitement. Tu te mets à grogner de l’intérieur … Amy-Lou … Ce que tu pouvais détester ça, bon sang. Ce que ça pouvait t’emmerder. Ce que ça pouvait te donner envie de hurler. De juste tout casser. Alors tu sers les poings. Tu sers très fort. Tu t’étais un peu ouverte, à croire que ça t’avais déjà fais un peu de bien de parler, parce que tu te contiens. Il en sait rien, après tout. Il sait pas, à quel point ton cerveau ne supporte pas ce prénom composé dans son entièreté. T’as rien dis. Alors au lieu de hurler. Au lieu de t’énerver, tu souffles longuement. « Amy … Juste Amy, s’il vous plait … Je supporte pas d’entendre ce prénom en entier. » Tu détournes un peu le regard. Ça avait tellement l’air d’un caprice, aussi. Bon sang.

Il te faut quelques longues secondes. Un temps durant lequel tu gardes le silence, fixant la fenêtre toute proche. Et puis, au bout d’un moment, tu oses le regarder de nouveau. Et tu hausses les épaules. La tête penchée sur le côté, tu fixes de nouveau ses yeux. « Je sais pas … J’ai pas encore décidé. » Un sourire apparaît sur tes lèvres. Un sourire un peu indescriptible. Ni triste, ni joyeux. Ni agressif, ni passif. Un parfait entre deux. « Moi j’aime bien. » Tu fais craquer quelques vertèbres dans ton dos, avant de de bouger un peu sur ton siège, appuyant bien ton dos contre le dossier, en soupirant légèrement. « Mais je suis pas forcément un gage de qualité. »

Ah la belle fixation sur les beaux yeux du psy. Bon, à ta décharge, t’aimais bien les yeux. C’est que tu regardais généralement en premier, chez les gens. Ouais, y’a des gens qui matent les fesses, toi c’est les yeux. C’est quand même plus poétique, voir romantique, non ? M’enfin. Ouais. C’est juste que tu les aimais bien, quoi. Et visiblement, ça à l’air de lui faire plaisir, vu sa remarque. Ton avis est important ? Pourquoi ? Tu te poses la question, durant de longues secondes, fronçant les sourcils pendant que tu réfléchis. En tout cas … il avait visiblement laissé tomber l’idée de t’appeler par ton prénom complet, tu craignais un peu qu’il ne se braque, qu’il ne veuille à tout prix t’appeler par le prénom qui se trouve dans ton dossier scolaire, mais non. Juste Amy. Tu lui souris. « Ça me touche … que vous n’insistiez pas là-dessus, vous savez ? » C’est que ça aurait été vraiment dommage de te sentir agacée à chaque fois qu’il aurait eu besoin de t’appeler par ton prénom. Amy … oui. C’était parfait. Bien mieux d’ailleurs que le mademoiselle Morgenstern qu’il te servais depuis votre première rencontre. C’était l’usage. Tu le savais. Membre du personnel, tout ça, ouais. Tu connaissais la chanson. Mais quand même. Tu préférais vraiment Amy … et puis t’aimais bien l’entendre dire ton prénom.

Tu te perds de nouveau dans la contemplation de la pièce. Tu la connais surement déjà par cœur, mais tu continues de t’attarder sur chaque meuble, chaque objet, chaque détail. Encore ton côté observateur, celui qui tente toujours de faire quelques déductions, quoi. Mais voilà qu’il te prend de cours, et par réflexe, tu te remets subitement à le fixer, rougissante, encore. Toi ? Tes yeux à toi ? Ils étaient bleus, oui. Visiblement, c’était une couleur d’iris qui plaisait, généralement mais … pas à toi. C’était les tiens. Alors forcément, ils n’avaient rien d’exceptionnel. « Vous trouvez ? » Tu hausses légèrement les épaules. « Je sais pas de qui je tiens cette couleur d’ailleurs … je suis unique dans ma famille. » Tu lui souris à nouveau. « J’ai l’impression qu’on a beaucoup dévier … non ? »

Il continue de te fixer … toujours ce regard. Particulier, hein. Particulièrement intense, en fait. En un sens, tu aimerais détourner le regard, ne pas laisser ses yeux capturer les siens, mais, tu n’y parviens pas. Alors tu tiens son regard. Et de nouveau, tu sens une légère chaleur s’emparer de tes joues. Il vient réellement de dire que tu es … jolie ? Oui. Tu l’as parfaitement entendue. Et te voilà partagée entre le fait d’être gênée, et celui d’être flattée. T’as un grave problème. Encore un, oui. T’as la putain de manie de sentir attirée des hommes vraiment plus vieux en ce moment. Et forcément, comme toujours avec toi, tu fais juste pas les choses à moitié. Disons que c’est pas de la petite attraction que tu ressens quoi. Et c’est … c’est chiant putain.

Un silence plane. Un instant, c’est tout. Et puis, le voilà qui approche de nouveau. Le revoilà de nouveau si proche de toi. Ses doigts sous ton menton. « Beaucoup… » C’est un murmure quoi. Il est si proche de toi, que t’as pas besoin de parler plus fort, en réalité. Et ses yeux, putain, Amy. Ses yeux qui sont encore une fois venu captiver les tiens. Ton regard est prisonnier. Tu ne peux pas t’empêcher de plonger tes yeux bleus dans les siens qui finalement sont totalement à l’opposé. Tu ouvres la bouche. Et tu refermes. Tu hausses les épaules. Il est beaucoup trop près pour que tu puisses t’exprimer, respirer correctement. « Pas du tout … » Déviante hein … tu l’as toujours été, n’est-ce pas ? Alors finalement, c’est juste plutôt agréable d’avoir probablement en face de toi, quelqu’un qui l’est tout autant, sans doute. Mh. Tu finis par lâcher ses yeux. Tant bien que mal. Et voilà que ton regard tombe sur ses lèvres que tu fixes un instant … juste un instant, hein, avant que tu ne baisses les yeux. Tu t’en veux, maintenant. C’était furtif, mais t’y as pensé, c’est tout. Et tu peux pas t’empêcher de te dire … que t’es juste réellement une fille horrible. C’est tout. On te changera pas.

Tu gardes les yeux baissés un bon moment. T’es laissé de mauvais souvenirs te revenir en tête, si bien que t’as serré les poings … mais bon. C’était pas la peine de faire payer le prix de ta bêtise aux autres, tu l’avais déjà assez fait. Tu coup, tu finis par te ressaisir. Par relever les yeux pour constater qu’il est toujours en train de te sourire. Et surtout. Il est toujours très proche de toi. Lorsqu’il ouvre de nouveau la bouche … tu agites simplement la tête, de droite à gauche. T’es pas dérangée, non. Un peu gênée, quand même, mais tu ne le montre pas spécialement, alors bon. Et là … son sourire change. Il se fait soudainement … plus sauvage, pour ainsi dire. Sans pour autant t’effrayer.

Tu sens ses doigts effleurer tes lèvres, et tes yeux s’écarquillent quand il vient finalement poser ses lèvres sur ta peau. C’est un baiser rapide. Furtif. Ça éveille de toi de bonnes, comme de mauvaises choses. Mais tu n’as pas le temps de réagir, puisqu’il se redresse et s’éloigne presque aussitôt, avant de signifier que la séance était désormais terminée. Une nouvelle fois, tu hoches la tête. T’avais même pas vu le temps passer, tiens. Tu finis par te relever, quittant le siège que tu occupais depuis le début. « Merci … vraiment. Ça m’a fait du bien de parler je pense et … » Et voilà, quoi. Rien. Tu te tais. Tu souris. Et tu lui tends ta main. « A très vite, alors, je pense. »