Ne pas savoir, ça te prenait la tête.
Franchement, tu n’avais jamais été du genre à te saouler, ou même à boire plus que de raison… jamais. D’habitude, les soirées, les bals, ce genre de trucs, ce n’était pas ton délire, tu n’y allais pas. Et là. Pour une fois, pour une fois bon sang, il fallait que ça se passe comme ça. Il fallait que te réveille le lendemain avec un sacré mal de crâne, avec cette coupure bizarre au niveau de la gorge, et surtout bon sang, surtout, sans tes souvenirs, ou presque. La seule explication logique – ou pas – à tout ça, c’est que tu avais sans doute trop bu … Tu t’étais souvenu du début de soirée. Tu t’étais souvenu avoir vu Amaury, dans son joli costume. Et puis, du flou, et puis l’instant d’après, tu te souvenais clairement d’elle, appuyée contre un mur et toi en train de l’embrasser, et de nouveau du flou. Et tu avais beau fouiller dans ta mémoire depuis des jours, rien ne te revenait. Absolument rien.

A cause de tout ça, tu ne parvenais même pas à te concentrer sur tes cours. Heureusement, c’était le cas de tout le monde. Il s’était passé des choses étranges à Halloween, des choses qui avaient couté la vie à huit étudiants mais dont personne ne se rappelait. Heureusement, personne que tu connaissais. Du coup, tout ce que tu avais à faire, c’était agir normalement. Ah. Et éviter Amaury à tout prix, aussi. Parce que non, tu n’assumais pas. Pas du tout même. C’était simple, depuis que c’était arrivé, dés que tu la voyais, tu changeais de direction. Tu t’installais le plus loin possible en cours, et tu t’arrangeais pour sortir à toute vitesse pour éviter de la croiser ou de l’approcher de trop prêt. Tu n’avais pas d’explication à ce baiser. Tu t’en souvenais, c’est tout. Alors tu ne voulais pas de questions … tu supposais que tu avais besoin de temps pour au moins essayais de comprendre. Et cinq jours, visiblement, ça n’était pas assez pour toi.

Enième soupire. Tu finis par balancer ton bouquin sur ton bureau, avant de retirer tes pieds de ce dernier pour te redresser et t’installer plus correctement sur ta chaise de bureau. Tu ne pensais qu’à ça … ça te revenais en tête, même quand tu essayais de toutes tes forces de te concentrer sur autre chose.

Tu sursautes.
Et puis tu fronces les sourcils. On vient de frapper contre ta porte. Du coup, tu te lèves, tu traînes les pieds jusqu’à l’entrée de ta chambre pour ouvrir et … ah. Tu pourrais soupirer. Tu pourrais lui faire comprendre que t’as autre chose à faire. Mais t’en as pas le courage, et surtout, t’en as même pas la force, là maintenant. Tu te doutais bien qu’elle finirait par te coincer au bout d’un moment, de toutes façons. Du coup, tu lui tournes le dos, tu laisses la porte ouverte. Qu’elle entre si ça lui chante, toi tu retournes t’asseoir. « Qu’est-ce que tu veux ? »

Ton sale caractère bon sang. T’es vraiment pas sympa, avec elle. Pour ta défense, t’as pas du tout envie de la voir, ou plutôt, t’as pas du tout envie d’avoir avec elle la discussion que t’imagines, elle, elle veut engager. Franchement, c’est pas vraiment dans tes habitudes de fuir autant … c’est juste que, c’est Amaury, bon sang. Objectivement, elle est jolie. Objectivement, elle est sans doute brillante, d’une certaine façon. Elle est intelligente. Le truc, c’est que ça reste Amaury. C’est la nana avec laquelle tu passes une grande partie de ton temps à te chamailler. Celle qui se rend ridicule à tes yeux en trop de circonstances pour que tu ne te mettes pas à te demander si elle ne le ferait pas un peu exprès, par hasard. Elle ne t’apprécie pas. Elle te crache dessus, et toi, tu le lui rends bien. Combien de fois ne l’as-tu pas gratifiée de noms d’énormes animaux marins ? Tu l’as même volontairement lâchée à la piscine, la dernière fois, pour lui faire peur … peut-être pour l’éloigner de toi, qu’est-ce que t’en sais. Alors. Sérieusement, Aedan, pourquoi est-ce que tu l’aurais embrassée ? Pourquoi elle, en particulier ? C’est à n’y rien comprendre…

« J’ai pas de problèmes. » Bah, oui. Voyons, ça se voit que tu vas bien. Parfaitement bien. Quel crétin, bon sang. Tu dois faire peine à voir. Et surtout, elle est pas débile, et tes esquives n’étaient sans doute absolument pas discrètes. Du coup, tu soupires. Oui, encore. Parce que ça te saoule, hein. T’as juste envie qu’elle s’en aille, tout en sachant très bien qu’elle ne le fera pas. De toutes façons, il te suffit de reposer les yeux sur elle pour que toutes tes barrières s’effondrent. Elle a l’air si … vulnérable. T’as presque envie de te lever pour la serrer contre toi. Merde quoi. Depuis quand c’est là, ça ? « T’as rien fais. » Absolument rien. C’est toi. Ah oui, là-dessus tes souvenirs sont parfaitement clairs, c’est toi qui l’as embrassée et pas l’inverse. Forcément, ça aurait été plus simple si ça avait été elle, hein. « Mais tu sais très bien pourquoi je t’évite. » Du moins, tu le supposes ? Si toi, tu le sais. Elle doit le savoir aussi, non ? « Et puis … c’est vraiment parce que je t’évite que t’es venue ? Dis plutôt que t’es venu me parler de ce truc, l’autre soir. » Bon, bah les pieds dans le plat, Aedan.

Tu te sens agacé. C’est comme ça, tu n’y peux pas grand-chose, en réalité. Tu cherches à comprendre, en vain. Tu ne trouves pas les réponses, et pour toi, il n’y a rien de pire que ça. Elle sait. T’en es persuadé. Toi, tu sais. Toi, tu n’as que ça en tête. Alors oui, encore une fois, tu te montres désagréable. Le ton que tu emploies est à la limite du froid. C’est sec. On pourrait croire que tu n’y mets aucune émotion, alors que c’est tellement le contraire. Ça se bouscule, tellement il y en a … sauf que forcément, t’as jamais su exprimer ce genre de chose de façon calme et compréhensible. Ce serait trop facile, sinon.

Et tu sers les dents. Tu t’énerves. A l’entendre, elle ne voit pas de quoi tu lui parles. Elle n’en sait rien. Rien du tout. Est-ce qu’elle est vraiment juste ici parce que tu l’évites ? Depuis quand ça l’intéresse, que tu lui portes de l’attention ou non, d’abord ? Elle faisait tout pour rester loin de toi d’elle-même, d’ordinaire. Tu ne peux pas t’empêcher de la fixer. Tu ne peux même pas détourner ton regard d’elle. Elle soupire. Elle frissonne. Elle, elle ne te regarde pas. Du moins, pas au début, parce qu’elle finit quand même par planter son regard dans le tien, avant de s’approcher de toi. Elle est là, juste là. Tu n’aurais qu’à tendre la main pour la toucher, l’attraper, ce que tu évites de faire, forcément. Au fond … tu sais, ça te blesse autant que ça te vexe. Quand toi, tu as l’impression de devenir fou, à cause de ce baiser, elle, elle semble avoir fait l’impasse. Comme si ça, ça ne pouvait pas être la cause de ton attitude ? Pourquoi est-ce qu’il n’y avait pas pensé ? Est-ce que c’était si peu important … ?

« Donc … si je comprends bien, le fait que je t’embrasse pour je ne sais quelle raison, un soir, n’est pas une raison valable ou suffisante à tes yeux pour que je m’éloigne un peu. » Bon, d’accord, dit comme ça c’était totalement ridicule. Qui s’éloignait d’une personne juste après l’avoir embrassée ? Le truc, c’est qu’elle devait le connaître un peu. Assez pour savoir qu’entre eux, c’était pas aussi simple. Pourquoi est-ce qu’elle ne se rendait pas compte à quel point ce baiser pouvait compliquer des choses qui jusqu’ici, étaient si simples et en apparence si claires ?

Tiens. Tu as trop parlé. Alors ça, c’est nouveau venant de toi, Aedan. Non parce que, soyons honnêtes deux minutes, tu n’as jamais été particulièrement bavard, ou même trop expressif, c’est même tout le contraire. Bien trop clair, bien trop concis, surtout. Tu sais te faire comprendre par des mots plus ou moins simples, et par des phrases courtes, en général. Ça te saoule de trop parler, tout comme ça te saoule d’écouter de longs discours ou d’avoir de trop longues discussions. Oui, enfin, d’habitude. A croire que là, le fait que tu sois aussi touché par tout ça, te pousses à en dire plus, et à t’exprimer plus longuement. Evidemment, tu le regrettes aussitôt, sinon c’est pas drôle. C’est pas toi, qui ne voulait vraiment pas l’avoir, cette discussion, dis ?

Et voilà, c’est parti. Elle répète les choses, et l’entendre de sa bouche, ça t’exaspère. C’est pas contre elle. C’est juste toi, toi et tes réactions à la con, tu vois. Le pire, c’est qu’elle dit ça … sur le ton de l’interrogation. Alors ça te pousse à poser les yeux sur elle, à la fixer avec ce regard-là, celui qui semble demander « à quoi tu joues exactement ? ». Mais là. Là, le couperet tombe. Et ça fait mal. C’est stupide, hein ? Au fond, c’était sans doute mieux comme ça, sauf que … et bah non. Toi, ça te blesse. Parce que toi, tu ne penses que ça. Parce que ça te rend fou. C’est le souvenir que tu gardes de cette soirée, le plus clair. Tout le reste est atrocement flou. Alors tu soupires. « J’aurais dû la fermer, alors. » Tranchant. C’est vrai, t’aurais dû te taire là. Et oublier. T’avais même pas besoin de te fatiguer à l’éviter, visiblement, vu qu’elle ne se souvenait de rien. Tu te sentais ridiculement con. C’était si stupide, bon sang, Aedan ! Le pire, c’est qu’elle continue. Evidemment, maintenant, elle va s’acharner, elle va poser des questions auxquelles tu n’as sans doute pas du tout envie de répondre. Et pourtant. « Oui. Forcément. » Tu ne prends même pas la peine de lui faire le moindre reproche. A quoi bon ? Non, tu te contentes de t’enfoncer sur toi-même, sur ton siège, les épaules basses. Le silence va, et vient. Parfois troublé par des choses qu’elle marmonne et auxquelles tu prêtes si peu attention, finalement.

Quand tu reposes les yeux sur elle … elle a l’air perdu. Tu pourrais presque t’en vouloir, dis donc. Surtout lorsque tu aperçois ses yeux brillants de larmes. Mais au final, tu soupires. « Perturbé … c’est … ouais si tu veux. » Elle s’attendait à quoi, sérieusement ? Tu te souvenais de ce baiser, mais pas des circonstances. Au fond, tu ne pouvais même pas vraiment lui en vouloir, toi aussi, il te manquait des souvenirs. Encore une fois, tu avais mis ça sur le compte de l’alcool, ou d’un truc qu’on aurait possiblement glisser dans les boissons, ou la nourriture ? T’en savais trop rien. C’était juste … bizarre. Tu ne te souvenais même pas t’être blessé. « Je sais pas … » Tu souffles. Elle s’est approchée de toi, et ses mains si froides viennent se poser sur ton visage, elle se penche, et puis, voilà qu’elle vient t’embrasser. Et tu sais quoi ? Même pas tu ne songes à la repousser. Au contraire. Tu le lui rends, son baiser, tu peux pas faire autrement. C’est comme si ton corps lui répondait naturellement, par automatisme. Du coup, quand elle recule, tu restes figé quelques instants. Le regard vague. Vide. Faire la gueule … tu ne réponds même pas à ça. En fait, tu attrapes ses poignets, tu tires dessus, légèrement, et tu finis par te lever. Elle est là, tout contre toi, maintenant, et tu la pousses. Tu la forces à reculer de quelques pas, jusqu’à ce que son dos vienne cogner l’armoire, derrière elle. C’est pratiquement comme dans ton souvenir. Alors évidemment, tu ne peux pas t’empêcher de revenir chercher ses lèvres. C’est presque bouleversant, parce que, tandis que tu l’embrasses, t’as le sentiment au creux de ton estomac, ce truc brûlant et désagréable, comme si tu devais le faire, comme si tu devais l’embrasser ici, et maintenant, avant que … avant que ce soit trop tard ?

Et tu recules. Juste un peu. Tu lâches ses lèvres et tu viens poser ton front contre son épaule. « T’as froid … » C’est tout ce que tu trouves à dire. C’est juste que … sa peau est glacée.

Bon, d’accord, Aedan. Là, tu agis vraiment bizarrement. Le pire, tu vois, c’est que tu sais pas toi-même ce qui t’arrive en ce moment. Pourquoi, subitement, tu te sens si accroché, attaché à Amaury. C’était pas le cas, avant, si ? Mais avant quoi… Avant cette soirée. Avant ce baiser. Avant … Avant quelque chose que tu n’arrives décidément pas à comprendre. Il s’était passé quelque chose, ça c’était certain. Quoi ? Aucune idée. Et c’était ça, au fond qui te prenais la tête, tu vois. Parce que, cette envie d’être proche d’elle, de la protéger, ça ne sortait pas de nulle part. C’était là. Argh … Pourquoi c’était si flou, à la fin ?

Franchement, est-ce que c’est … si important, au final ? Certains diraient que non. C’est juste toi, en fait. Toi qui as toujours besoin de tout comprendre. C’est presque une obsession. Un vrai scientifique dans l’âme, à t’acharner comme ça, sur tes questions qui semblent avoir simplement envie de rester sans réponses. C’est dingue, comme tu n’arrives pas simplement à être tranquille. Tu devrais, pourtant. Tu devrais te sentir apaisé, là, non ? Alors pourquoi c’est l’inverse ? Pourquoi tu te sens … si nerveux, quand elle passe ses bras autour de toi, et quand tu sens ses doigts s’accrocher à ton haut ? Quand elle dit que ça va, tu n’en crois pas un mot. Ta main à même lâcher l’un de ses poignets pour remonter, tout doucement le long de son bras. Sa peau est froide. La tienne bien trop chaude. Le contraste est saisissant, si bien qu’un soupire s’échappe de tes lèvres, là au creux de son cou. « J’en sais rien … » Qu’est-ce que tu peux faire, hein ? Tu ne vas plus la fuir. C’est clair que t’en as pas envie, en fait. T’as même envie du contraire. T’as envie de la garder là, près de toi, de garder le contact. Tu ne veux pas la lâcher. Jamais. L’idée même de l’éloigner de toi provoques maintenant un intense sentiment de panique. Totalement surréaliste, bon sang. « Reste avec moi. Je veux pas que tu n’en ailles … » T’as presque l’impression que si elle quitte ta chambre … quelqu’un va te l’enlever, et que plus jamais tu ne pourras la revoir. « S’il te plait, Amaury. » Tu te presses encore davantage contre elle, si c’est possible. Tu vas finir par l’écraser, bon sang.