J'avais fait mon entrée dans la bibliothèque avec l'intention d'y travailler. L'odeur des livres était, depuis toujours, quelque chose qui m'apaisait, me faisait me sentir à ma place. J'étais donc sous l'impression que cet endroit me plairait. Le grain de bois des vieilles tables était agréable au toucher, bien que les chaises semblaient inconfortables. Cela, toutefois, était tout de même endurable. Non, le réel problème était autre part. Quand bien même ce fut un espace de travail, un sanctuaire qui aurait dû être silencieux, les gens n'avaient aucun scrupules. Ils parlaient à voix basse, échangeaient, ricanaient en souffles saccadés. Tout cela, je pouvais l'entendre.

Irritée, je quittai ma table, à la recherche d'un lieu plus tranquille. Et, pour moi, il s'agissait d'une véritable épreuve. Plissant les yeux, je cherchais à distinguer les limites de ce grand espace. Un exercice difficile, voir impossible pour moi. Ne me restait plus qu'à marcher en longeant les murs, gardant l'oreille tendue dans l'espoir de perdre l'écho des murmures qui m'avaient chassée. Quel soulagement lorsque je trouvai cette porte, l'entrée vers un monde obscur, qu'aucun n'osait franchir. C'était ce qu'il me fallait. Je tournai la poignée et pénétrai la pièce, refermant doucement derrière moi. Cela fait, j'appuyai mon dos contre la porte et fermai les yeux.

Il n'y avait aucun bruit. Seulement le ronronnement doux des ordinateurs, une douce vague de fond qui m'enveloppait de façon réconfortante. L'air ici paraissait impur, comme si la pièce était fermée depuis très longtemps. Il aurait fallu ouvrir la porte, ouvrir une fenêtre, mais cela aurait été sacrilège. Ç'aurait été gâcher l'isolation complète de cet endroit, ce qui en faisait un lieu si précieux et si unique. Mes paupières se relevèrent, permettant à mon sens faible de chercher la présence d'autrui. Personne, j'étais seule, ou du moins telle était mon impression. Parfait.

J'allai prendre place devant un ordinateur, mais n'interagis pas avec lui. Je n'en avais pas besoin. Je me décalai plutôt, m'asseyant donc entre deux postes informatiques et écartant les claviers pour me composer un petit espace de travail. Ici je pourrais me concentrer et jouir de la solitude, du silence. À tout le moins, c'est ce que je me disais.

J'étais convaincue d'avoir trouvé un refuge, un endroit où je pourrais me cacher à l'abri du monde, plongée dans le silence pour mieux me concentrer sur l'ouvrage que j'avais à terminer. Malheureusement, cela revenait à crier victoire trop vite, à mon grand malheur. Je sentis le mouvement avant de l'entendre et, bien évidemment, un millier d'années avant de le voir. Ma tête se redressait avec curiosité à l'instant où une main ferme se posait sur le dossier de ma chaise, me forçant à pivoter. Je laissai faire, relevant les pieds pour ne pas buter contre les pattes. Sa voix me parvint la première, énervée, ennuyée. Un refrain répété sans doute bien trop de fois déjà, vu sa lassitude. Mon champ de vision ne rattrapa ma personne qu'une poignée de secondes plus tard, me laissant découvrir la silhouette d'un jeune homme aux cheveux bruns. J'avais du mal à distinguer les traits de son visage, mais avais depuis longtemps pris l'habitude de lire l'expression des gens à travers leur corps. Il semblait sérieux.

« Ceci expliquant cela. »

Cet endroit n'aurait pas pu être aussi calme et aussi isolé s'il cela n'avait pas été le cas. Je m'en voulais quelque peu de ne pas être parvenue à cette conclusion de mes propres moyens, mais mon envie de quiétude devait avoir pris le dessus sur mes réflexions. Toujours est-il que je n'avais aucune excuse et que, surtout, je n'avais guère la volonté de me mettre à dos le responsable des lieux. Si je voulais entretenir l'espoir secret de revenir, je ne pouvais faire mauvaise impression. C'est ainsi que je choisi de me lever sans faire d'histoires.

« Je n'avais guère réalisé que ceci était déjà le sanctuaire d'un autre avant moi. »

Mentionnais-je tout en récupérant mes effets personnels. Dans mon soucis du détail habituel, j'avais repositionné la chaise là où je l'avais trouvée, jouant de mémoire et de points de repères, un tour de passe-passe enfantin pour une personne à la visibilité réduite. Plus qu'à replacer les claviers que j'avais écartés en arrivant et le tour était joué. Il ne m'avait suffit que de quelques instants pour tout remettre à sa place avec la minutie et le respect que l'on aurait employé dans un lieu de culte. On aurait pu jurer que je n'avais même jamais mis les pieds ici.