Dans la tronche

Il était déjà tard sur le campus, et le soleil qui se couchait à l’horizon offrait au ciel une belle lumière crépusculaire encore très claire, qui inondait le terrain de football fourmillant des joueurs encore motivés à s’entraîner. L’éclairage créait de belles ombres très grandes et fines sur l’herbe, on aurait dit de grandes barres qui dansaient sur le gazon. Comme des grands doigts crochus qui agitaient les ficelles d’une marionnette. Pernelle était assise dans l’herbe, sur une butte en élévation. Elle se trouvait entre le terrain de football et d’athlétisme, mais avait malgré tous les yeux rivés sur les joueurs qu’elle avait devant elle. La jeune fille n’avait pas prévu de s’arrêter au complexe sportif — elle, faire du sport ? et puis quoi encore —, mais elle sentait que c’était le cadre idéal pour prendre des clichés qui pourraient offrir un rendu agréable à regarder. D’un œil observateur, elle levait de temps en temps son appareil photo dont la sangle était autour de son cou, à l’affût de la moindre opportunité : l’horizon, un flux... ou même un joueur en plein effort, pourquoi pas. Elle pouvait passer plusieurs secondes l’œil fourré dans l’objectif, avant de se décider à appuyer sur le bouton de l’appareil, ou bien de ne rien faire et attendre un autre moment.

Voir les joueurs de football en train de jouer aussi énergiquement rappela des souvenirs à Pernelle ; quand elle aussi, il y a quelques années, elle était sur le terrain. Elle n’avait pas arrêté par manque de motivation, car elle gardait malgré tout une affection pour ce sport. Le jeu en équipe était juste difficile. L’œil plongé dans l’objectif, la jeune fille n’avait même pas remarqué que le ballon avait pris un coup de pied suffisamment puissant pour sortir du terrain. Pernelle eût à peine le temps d’entendre l’avertissement lancé par un des joueurs du terrain qu’elle leva les yeux au ciel — trop tard. Le ballon lui était retombé en plein sur le front. Le coup l’avait surprise, et même presque fait mal. Elle aurait pu avoir l’air cool, assise en solitaire à prendre des photos du bel horizon... Mais non, en bonne loser, elle n’en ratait pas une pour être ridicule.

Dans la tronche

En se frottant le front, Pernelle leva la tête lorsqu'elle entendu quelqu'un qui lui demandait si ça allait. Elle fut cependant surprise par la silhouette qui lui faisait face : Jin. Elle ne l'avait même pas remarquée, alors qu'elle était sur le terrain ? C'était pourtant le genre de détail qui n'échappait pas à Pernelle. Remarquant que c'était la première fois qu'elle regardait Jin dans les yeux, elle se leva brusquement pour se mettre à sa hauteur. ❝ Non, ça va ! Je vais bien. ❞ En fait non, elle avait une petite douleur lancinante sur presque tout le front, mais c'était relativement supportable. Elle était surtout préoccupée maintenant par ce qu'elle allait bien pouvoir dire à Jin, ça lui faisait bizarre de l'avoir enfin en face d'elle. ❝ Je savais pas que tu jouais au foot ! ❞ Elle venait de lui sortir ça comme si elle la connaissait, de manière très spontanée — même si quelque part, tout le monde connaissait Jin. Pernelle devait avoir une vingtaine de photos d'elle sur son ordinateur, seule et abordant toujours la même mine dépressive... Pernelle ébouriffa sa mèche de cheveux pour se cacher le front, qui virerait sûrement au rouge dans la minute. Elle avait déjà suffisamment l'air ridicule comme ça, inutile en plus de ressembler à un clown...

Dans la tronche

Jin restait avec Pernelle, ce qui prit encore plus de court la photographe. Non pas que ça la dérangeait... Au contraire, elle ne pouvait pas s'empêcher de penser à l'opportunité de pouvoir parler à Jin. Sans arriver au point d'être une pure stalkeuse, c'est toujours mieux que de l'observer de loin lorsqu'elle en avait l'occasion... ❝ Ça va ! C'est ma faute, je regardais pas et je faisais pas attention. Je... prenais des photos. ❞ Sur ces mots, elle leva l'appareil accroché autour de son cou. L'arme du crime, d'un certain point de vue. Avant qu'elle ne réalise que c'était une excuse bidon, elle préféra enchaîner : ❝ C'est marrant, parce que moi aussi j'ai fait du foot quand j'étais petite. J'étais pas très bonne, alors j'ai arrêté. Même si en réalité, c'était surtout que je m'entendais pas bien avec les filles de mon équipe... Depuis, j'en ai pas refait... ❞ C'était probablement un peu trop. Sous le coup de la panique, Pernelle s'était mise à déblatérer ces anecdotes inutiles, elle qui était plutôt du genre "monosyllabique". Si elle avait pu avoir les cheveux plus longs, elle en aurait également profité pour cacher la rougeur de ses joues. ❝ Pardon, je sais pas pourquoi je dis ça. Je veux pas te déranger pendant ton entraînement. ❞

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Refaire du foot ? Pernelle avait déjà envisagé cette idée, malgré la difficulté d'adaptation et du travail d'équipe. Il fallait peser le pour et le contre ; aurait-elle vraiment le temps de se consacrer à un sport quelconque, en plus de ses études et de ses occupations ? Et si elle ne s'entendait pas avec les autres filles de l'équipe ? Non pas que l'avis des autres l'importait, mais elle a bien conscience qu'un groupe sans cohésion, ça fait tâche, surtout sur un terrain de sport. Mais quelque part, elle avait grandit, non ? Ce n'était plus une enfant. C'était même là une occasion pour elle de faire quelque chose d'utile dans sa vie. Et puis... Ce bref sourire de Jin lui suffisait à, comme elle l'imaginait, peser le pour du contre. ❝ Ouais, pourquoi pas ! Je vais y penser, ça... pourrait être amusant, je t'ai assez dérangée. Je... vais te laisser retourner à ton entraînement. Merci de t'être inquiétée pour moi ! ❞ Sans attendre, Pernelle tourna les talons et s'en alla à grandes enjambées. Elle pouvait se sentir rougir jusqu'au oreilles. Jin avait la classe, c'était inutile pour elle de s'en cacher. La jeune photographe aurait préférée avoir une première approche moins... ridicule. Mais bon, trop tard pour revenir en arrière, après tout. Ça aurait même pu être bien pire.