S'il y avait une chose que je regrettais presque, de temps en temps, c'était la tête qu'avait mon horaire. Entre les cours, le boulot et mes responsabilités de greffière, il était compliqué de trouver un moment pour souffler. Preuve étant que je venais de terminer mon chiffre, ayant couvert la matinée et le repas du midi avant de quitter le petit café où je bossais avec des cappucino et une boite de donuts. J'aimais à croire que j'étais une personne sympathique et que, si j'avais du mal à me faire des amis par les voies conventionnelles, je pouvais toujours m'en tirer en leur apportant à manger jusqu'à ce qu'ils m'apprécient enfin.

C'est donc ainsi que j'atteignis l'université, mon sac à bandoulière me creusant l'épaule, une main occupée avec le plateau où reposaient les cappucino et, dans l'autre main, ma boite de donuts. En chemin, une autre membre du conseil m'intercepta, ajoutant à la pile, sur la boite close de donuts, un dossier de documents importants dont je devais faire des photocopies avant la prochaine réunion. Au moins elle me vola aussi un café et un beignet, mais le fait est que j'étais plus chargée qu'avant.

Chargée comme une mule, je lâchai un soupir de soulagement en voyant finalement apparaître la porte du local dédié au conseil des élèves. Seul petit problème : elle était fermée. Ne me dites pas que, en plein après-midi, j'étais la seule à être venue ? En même temps il n'y avait pas de réunion prévue aujourd'hui alors quelque part ça tombait un peu sous le sens. Moi-même je ne serais sans doute pas venue à l'improviste comme ça si je n'avais pas eu l'intention de retaper, au propre, le procès verbal de la rencontre de la semaine précédente. Mais... merde ! La porte était verrouillée et, bien sûr, mes deux mains ne suffisaient pas à me sortir de ce pétrin ridicule dans lequel je m'étais fourrée.

Je regardai un peu autour de moi, personne. Je frappai la porte du pied en espérant que quelqu'un m'entende à l'intérieur et que je me sois trompée, mais pas de réponse. Devrais-je aller demander de l'aide ? Mon orgueil grogna. Noooon, je ne voulais pas demander de l'aideuuuh. Mais si je ne trouvais pas de solution rapidement, je n'aurais pas le choix...

Et c'est de nulle part qu'arriva mon sauveur ! Il vint me porter secours sans vraiment prévenir ou s'annoncer. Une seconde il n'était pas là et pouf, la suivante il y était. Simple et efficace, il avait déterminé les priorités : m'aider en me retirant quelque chose des mains et m'ouvrir la porte pour me permettre d'aller tout déposer. Ce n'était pas pour rien que ce type était à la présidence : il était efficace.

« Merci Levi. »

Je me retins de justesse d'ajouter un : tu me sauves la vie ! Considérant qu'on devait lui avoir fait la blague à de nombreuses reprises déjà et que je n'avais pas nécessairement envie d'y ajouter. Je me dirigeai vers la table de réunion, y déposant mes effets avec un sourire serein, soulagé. Je jetai un oeil au dossier que j'avais récupéré en chemin, m'assurai que tout était encore à sa place et que les cappucino n'avaient pas coulé. Ce qui était particulièrement bien, avec la compagnie de Levi, c'est qu'il m'avait semblé tout naturel de faire le tout dans le silence. Je ne me sentais pas forcée de faire la conversation, pas forcée d'interagir avec lui ou de répondre à des questions superficielles. Ceci étant dit, je n'avais pas emporté tout cela pour rien.

« Si tu veux un café n'hésite pas, je sais que tu bosses beaucoup. Il y a même des donuts, on les fait surplace, là où je travaille. »

Et rien de plus. Je m'activais déjà à sortir mon pc de mon sac, prenant au passage une gorgée de mon propre cappuccino. Mon propre horaire ne me permettait pas nécessairement de gaspiller mon temps et, à dire vrai, j'avais toujours eu ce petit côté bosseuse. Puis plus vite je terminais et plus vite je pouvais aller faire autre chose de productif. Ou rentrer chez moi, retirer mon soutif, me laisser tomber sur mon canapé et regarder la télé en mangeant des nouilles instantanées, au choix. Enfin, c'était bien beau tout ça, mais...

« Au fait, ça ne te dérange pas que je m'installe ici ? Je dois simplement mettre un procès verbal au propre et faire des photocopies. »

Comme cette pièce était un peu son antre, m'y installer sans demander si je le dérangeais serait peut-être mal vu.  J'aurais été surprise qu'il s'y oppose, mais c'était tout de même une question de pure politesse.

Bon, il n'avait pas l'air super enthousiaste, mais quelque part il fallait s'y attendre un peu. Le point positif, c'est qu'il avait accepté de me laisser rester. Ce n'était pas un oui direct, maaaais ce n'était pas un refus. J'allais prendre ce que je pouvais avoir, honnêtement. C'est donc avec un petit sourire satisfait que je m'étais mise à l'ouvrage, lui offrant au passage café et donut. Il n'accepta que le premier de ces deux présents, mentionnant qu'il préférait éviter les donuts. Je ne commentai rien à cela, pouvant comprendre cette décision. Peut-être n'avait-il simplement pas la dent sucrée, peut-être qu'il devait surveiller son taux de sucre ou, encore, peut-être n'aimait-il simplement pas manger devant les gens, je pouvais comprendre. Moi-même, du coup, j'hésitais à manger. Valait probablement garder ça pour plus tard, lorsque je ne serais pas en la compagnie d'un brun à l'air renfrogné.

Et après ? Bah je commençai à faire ce pour quoi j'étais venue. Empruntant mon air de concentration, je commençai à parcourir le procès verbal de la rencontre de la semaine précédente, repassant sur mes abréviations pour plutôt écrire au long et retoucher la mise en page du même coup. J'étais un peu une perfectionniste pour ces trucs, force d'habitude. Concentrée, je ne portais plus trop attention aux faits et gestes de Levi. Était-il encore là ? Bossait-il de son côté ? Avait-il quitté le local ? Je ne le savais pas trop et, pour l'instant, le simple fait d'être tolérée dans son antre suffisait largement. Ceci étant dit, une dizaine de minutes plus tard, je tombai sur une question qui n'avait pas été réglée, me demandant si elle était assez pertinente pour que je l'ajoute au planning de la prochaine rencontre des membres du conseil des élèves.

« Oh, pour la proposition concernant une activité de groupe entre les membres du conseil, je la note dans le planning pour la semaine prochaine ? C'était une proposition du trésorier je crois. Ça pourrait être pas mal, c'est prouvé que les gens qui font équipe et qui sont heureux et partagent une relation amicale entre eux sont plus motivés et performants. Et un conseil des élèves motivé et performant, c'est le must pour une fac. »

Et c'est là que je réalisai que je venais de parler beaucoup et ce potentiellement dans le vide. Maladresse, ton prénom est Elsie. Prise d'un genre de mini panique, je regardai à gauche et à droite, me demandant si j'étais toujours en compagnie du président ou si j'avais été laissée à moi-même.

« Levi ? »

Heureusement pour moi, il n'était pas très loin. Son air était toujours aussi blasé qu'à l'habitude, pour ne rien changer, avec l'addition bonus d'encre sur ses doigts. Je mentirais si je disais que je n'avais pas esquissé un sourire en coin à cette vision. Je connaissais ça. Dès que les proches savent que t'étudies l'informatique, c'est fini. On te demande de tout faire, y compris le changement de cartouches d'encres. J'avais donc souvent été à sa place. Toujours est-il que sa réponse... bah c'était Levi hein. Le simple fait de proposer cette idée soulignait que les performances du conseil pouvaient être améliorées et, pris comme il l'était par ses responsabilités, sans doute que cela ne lui plaisait pas. Peut-être même le voyait-il comme un affront à sa fierté ? Je n'en aurais pas été surprise en tout cas. Ceci étant dit, cela ne m'empêcha pas de me tourner vers lui, esquissant une moue passagère lorsqu'il qualifia la suggestion de broutille. Bon, j'étais la fille bourrine, si ce n'était pas moi qui le faisait, personne ne le ferait.

« Au moins t'es conscient que les autres membres du conseil sont tous aussi motivés parce que tu leur fous la trouille ? C'est certain qu'avec toi les trucs sont bien faits, t'es un monstre de travail, mais voilà quoi. »

Je me passai une main dans les cheveux, un peu nerveuse. J'étais du genre honnête et s'il ne me dérangeait pas vraiment de lui dire les choses comme elles étaient, j'aimais bien ma position au sein du conseil des élèves. Me mettre le président à dos serait bien la dernière chose à faire si je voulais conserver mon poste de greffière jusqu'à la fin de ma scolarité. Et pourtant, j'étais qui j'étais et je n'allais pas changer de sitôt.

« Moi aussi je tiens à ce conseil et j'aime bien ce qu'on fait, ça me rend fière même si ça veut aussi dire que j'ai bien moins de temps pour moi en dehors. C'est pour ça que je te dis ça et que j'insiste. Même si moi-même j'aime pas trop ça, c'est un truc que j'ai apprit avec le temps, l'importance de communiquer et de bosser en équipe. Tu peux pas tout le temps tout faire tout seul et ignorer les besoins de ton équipe et les remplacer aussitôt qu'ils font un pet de travers. Surtout qu'on veut t'aider, on attend simplement que tu nous en laisse la chance. Enfin, t'as compris l'idée. »

Valait mieux m'en tenir à ça. Mon petit doigt me disait que Levi n'était pas du genre à être fan de longs discours.

Si certains auraient pu croire que j'y étais allée un peu fort, pour ma part j'étais plutôt en paix avec moi-même à cet instant. Si j'avais dit quoi que ce soit de moins et que j'avais gardé mes pensées pour moi, ce me serait resté en tête et je n'aurais pas pu arrêter d'y penser et de regretter ne pas l'avoir dit. J'étais honnête, j'étais comme ça. J'allais au fond des choses. Et, l'espace d'un instant, je me préparai mentalement à en subir les conséquences. Son visage s'était refermé et Levi ne semblait guère ouvert à l'idée. Quelque part il n'avait pas tort, il était vrai que les activités du conseil demandaient déjà beaucoup de temps à tous et que nous étions également des étudiants. Certains, comme moi, étaient peut-être même forcés d'avoir un petit boulot à côté pour subvenir à leurs besoins. Mais est-ce vraiment si difficile de trouver une ou deux heures de libre en commun ?

Je perdais un peu espoir, à dire vrai, mais c'était avant de remarquer que Levi s'était rapproché de moi. Curieuse, je croisai son regard toujours aussi sérieux, ne m'attendant pas à... me faire toucher le nez ? Ça, c'était une surprise. J'agrandis les yeux, ayant du mal à processer la nouvelle information. Si je pensais que c'était une bonne idée je pouvais... Oh... Oh ! Il venait de me donner son accord ! Je devrais le faire de ma propre initiative et dans mes temps libres déjà très rares, mais il était d'accord !

« Super ! Tu ne vas pas le regretter, Levi ! »

Et, parce que je suis une personne relativement intelligente, je me dépêchai de fermer mon ordinateur et de ranger mes trucs. Il était temps de prendre la fuite. Il m'avait laissé entrer dans son antre, m'y avait laissé bosser un peu de temps et finalement m'avait donné sa permission pour mon petit projet. Je devrais prendre la fuite avant qu'il n'ait l'occasion de changer d'idée ! Je me tournai vers lui avec un immense sourire très fier, sans réaliser que le bout de mon nez était taché d'encre.

« Je vais terminer ça chez moi. Merci encore ! »

Et rapide comme l'éclair, je me dirigeais vers la sortie. Oh, mais avant ça... Je repassai la tête dans l'embrasure de la porte, toujours aussi souriante. Il faut dire qu'après cela, rien ne pourrait me miner le moral aujourd'hui. C'était une petite victoire, mais elle me comblait de joie.

« Utilise de l'huile pour bébé, pour tes mains ! »

Et voilà, je quittais les lieux telle une petite voleuse ricanant sur sa victoire. Enfin, s'il n'avait rien d'autre à me dire ou qu'il ne tentait pas de me rattraper en tout cas.