« bon allez, y a pas un chat aujourd'hui, rentre chez toi. »

c'est la troisième fois, cette semaine. tu ne sais pas si c'est le vent frais de l'automne qui fait fuir la clientèle, mais ça commence à se ressentir sur tes heures au bar. et même si c'est agréable de finir plus tôt (qui n'aime pas ça, avoir un après-midi de congé ?), faut aussi payer son loyer. trois heures de boulot et à peine de pourboire, ton portefeuille en pleurerait.

à peine le pied dehors, une rafale de vent te gifle le visage. ta crinière émeraude virevolte derrière toi, et reviens parfois te chatouiller le nez, une mèche à la fois. la route sera longue jusqu'au campus, mais tes pieds sont encore le moyen le plus économique de voyager. heureusement que le soleil est là pour te réchauffer.

et lui aussi.

tu reconnaîtrais sa tignasse entre mille. sorti de nul part - ou du supershop, plutôt -, prenant la même direction que toi, sûrement celle du campus. c'est le garçon de l'autre jour, au théâtre... ça te fais penser qu'il n'a pas répondu à ton sms. tu te mords l'intérieur de la joue, hésitante à aller le rejoindre. il était peut-être seulement débordé de messages, à cause de son anniversaire. ou alors tu t'es trompée de numéro ? à moins qu'il ne soit fâché que tu l'aies planté là, avec mr. tanoshi...

« hey ! »

d'un pas sautillant, un air ravi au visage, tu rattrapes les quelques mètres qui vous séparent et te mets dans son champ de vision et secoue doucement la main pour le saluer.

« tu te souviens de moi ? »

tu te remets à sa gauche, suivant son pas.

« est-ce que tu retournes au campus ? ça te va si je marche avec toi ?

ton sourire se crispe, la fille du théâtre. ça en dit long sur l'impression que tu lui as donnée. ça te vexe un peu. en même temps, comment lui en vouloir ? au final vous ne vous êtes vus que l'espace de quelques minutes. une heure, au grand maximum, et il faut dire que mr. tanoshi a pris une grande place dans cette rencontre... d'ailleurs, tu te promets d'éviter de le mentionner, vu l'état dans lequel ça le met.

« oui, voilà... mon nom c'est baby. toi c'est andreas, c'est bien ça ?

le regard porté au loin, tu tires sur les manches de ton chandail pour y cacher tes mains. maintenant qu'il en parle, tu as effectivement un peu froid. le soleil ne fait pas de miracles.

« oh ça va je vais survivre ! réponds-tu à cette question. je viens de terminer le boulot en fait, je travaille au bar les limbes, je sais pas si tu connais ? c'est un piano bar, je suis sûre que tu aimerais.

tes joues prennent une teinte rosée. est-ce la froideur du vent, ou sa présence qui te fais cet effet, baby ?

« euh... enfin, je veux dire, je ne te connais pas vraiment, mais... c'est l'impression que j'ai eu en te rencontrant... c'est pas qu'un bar, hein ! on y sert du café, un petit menu sympa, il y a des bouquins, de la musique douce - on a régulièrement des soirées avec pianiste ! c'est tranquille et... voilà. on dirait que je t'y verrais bien, dans cette ambiance.

tu ris timidement, et agrippes une mèche de tes cheveux et l'enroule autour de tes doigts un peu engourdis.

« désolée, je parle trop ! toi, tu faisais quoi par ici ? des courses ?

question idiote, tu vois bien qu'il ne porte aucun sac.